Ittoqqortoormiit, jour 3

Le brouillard s'étend sur le fjord, il dévore lentement l'horizon. Aujourd'hui, un homme à la balafre qui lui taille un sourire permanent est venu nous vendre de la chair d'ours polaire. Il aurait essayé de se planter une balle dans la tête un soir de boisson noire et balade depuis son impuissance aux yeux de tous. Pas de prison au Groenland sinon celle imposée par la terre. On y dort seulement mais on doit travailler le jour. Les vrais criminels sont envoyés sur le continent, au Danemark. On a acheté la chair du roi de la chaîne alimentaire. Cinq heures à petit feu pour en venir à bout.

Ce soir, les chants d'un autre monde, celui des baleines et des chiens, et quelque chose de plus profond, s'engouffrent dans la baie et meurent dans un écho interrogateur. Dans la vacuité ambiante, le moindre bruit prend des proportions monstrueuses, comme une maison vide dont on déménage. Le silence solide est entrecoupé par les bourdonnements des quads qu'on apprend vite à détester.

L'eau du fjord s'est remplie des icebergs alentours, retardant encore un peu plus la venue du porte-container qu'ils attendent depuis 9 mois ici.